ça y est. J'ai reçu il y a deux jours le courrier des domaines qui va nous permettre de vendre la maison de
Bretagne. Maison de vacances de notre enfance.
C'est un soulagement, bien sûr.
Cela fera quatre ans qu'elle n'est plus habitée et marine dans son jus. Nous n'avons pas les moyens de la racheter, surtout pour payer 55% de sa valeur en plus aux impôts...
Soulagement parce qu'elle est dans un état d'abandon depuis des années.
Déchirement terrible en même temps.
Le deuil des lieux de notre enfance est long,
particulièrement quand les éléments matériels le font durer plus qu'il ne faudrait.
J'y suis attaché, à cet endroit. Mais de ces
attachements qui nous retiennent à des choses qui n'existent plus. Je suis attachée à mes souvenirs.
Mon frère et moi y étions seuls avec notre grand-mère, les mois de juillet.
Nous prenions le train à la gare
Montparnasse. Il était omnibus, mettait des heures. Nous passions par Laval, entre autres gares (lecture de droite à gauche et de gauche à droite), arrivions à
Quimper, prenions un taxi.
Peu avant d'arriver enfin, nous retrouvions tous les symboles : la plage, immense et magnifique, le petit pont sur la mer, les rochers de granit énormes, les arbres poussés courbés à cause du vent, la maison de Suzanne, qui tenait autrefois un bar et nous offrait toujours des sucettes, la maison du docteur avec la grande ancre dans le jardin.
Et puis la maison. Inventaire. Nos arbres ont grandi, nos journaux sont toujours là. Le vieux lit en fer blanc est toujours caché derrière la maison. Le poteau en bois sert toujours de banc. Les voisins, le petit raccourci, la haie de
troènes. Des milliers d'odeurs se bousculent, que je ne peux pas partager avec vous. Richesse immense de la mémoire olfactive qui m'envoie les parfums à mesure que remontent mes souvenirs.
Et les journées ! Nous faisions nos devoirs de vacances le matin, dans la cuisine, en écoutant son 33 tours
d'Yves Duteil (si ça c'est pas de la torture !).
Je me rappelle très bien que ma grand-mère m'avait appris l'heure au cours d'une de ces séances studieuses. Ensuite nous allions acheter les espadrilles ("une taille en dessous, ça se détend beaucoup" : et on me demande pourquoi aujourd'hui j'exècre les espadrilles???), puis plus tard, des
tongs, qui ruinent les pieds quand on fait du vélo.
Nous déjeunions,
siestions, puis nous rendions à la plage, mais devions attendre pour ne pas risquer
l'hydrocution.
C'est pas
folichon, ce programme. Et les heures passées à bouquiner les
Aggie, les pieds
Nicklés et la comtesse de S
égur dans le jardin, ou les heures passées à organiser un énorme rocher dont nous
connaissions les moindres trous et les moindres niches ("Ici le salon, ici la cuisine, là, le garage, avec la voiture). Les promenades, montée au phare, immense, un des plus grands, pélerinage au rocher du préfet, à la chapelle, ses vitraux... Sans compter la trottinette géante, les
explorations dans la crèche, et la chasses aux fourmis, armée d'un pistolet de produit pour les vitres.
Vraiment.
Des journées peuplées de vide, de lenteur, et d'ennui, qui me laissent malgré tout nostalgique même si j'avoue que le bilan de nos activités me laisse perplexe, et me pousse à conclure qu'en effet, l'ennui n'est pas une mauvaise chose.
Aujourd'hui nous avons pris nos quartier dans un autre coin de la Bretagne, et j'espère que mes enfants auront eux aussi cet attachement qui me fait revandiquer mon nom, même si je ne suis pas une vraie de là-bas. J'espère qu'eux aussi auront ce goût pour le vent, la mer, et les promenades pieds nus sur les tapis d'herbe grasse des côtes.
Mon père nous racontait souvent comment mon grand-père avait acheté cette maison à la bougie. Ma grand-mère, surtout. Avant que la troisième bougie ne s'éteigne, elle a mis un grand coup de coude dans ses côtes pour le réveiller car il dormait. ça me semble incroyable d'ailleurs de dormir pendant une vente à la bougie.
Nous allons la vendre. A la bougie peut-être ?
J'espère qu'elle aura la chance de tomber sur un
propriétaire qui aura à coeur d'en prendre soin, et qui en profitera bien.